La société civile congolaise souffre d’une incapacité chronique de mobilisation collective massive dans des revendications pour promouvoir l’intérêt général. Tout indique que les congolais se mobilisent davantage dans des contextes festifs et joyeux (comme observé lors de la campagne électorale de 2023 et d’autres occasions sportives ou musicales), mais beaucoup moins dans des contextes de revendication ou de défense de certaines causes communes.
En outre, les organisations de cette société civile manifestent des faiblesses organisationnelles et fonctionnelles importantes qui réduisent sensiblement leurs capacités d’action.
Par ailleurs, il a été noté durant la législature 2019-2023 l’engagement prodémocratie très fluctuante de plusieurs grandes organisations de la société civile (contrairement à la période précédente), à la suite de certaines allégeances politiques au pouvoir en place associées au tribalisme.
Le Programme Permanent d’Appui au Développement de la Société Civile Congolaise (PADSOC) va déployer des activités qui permettront de corriger ces situations dans le moyen et le long terme. En généralisant la création de groupes locaux dans les territoires des paroisses (catholiques et protestantes) de la RDC et en renforçant leurs capacités organisationnelles et fonctionnelles, ceux-ci deviendraient des structures permanentes d’actions visant le développement des sociétés civiles communautaires dans les territoires des paroisses respectives. Ces groupes constitueront ainsi des écoles permanentes de formation pour le développement de la société civile à la base, tout en étant eux-mêmes des composantes mobilisables et mobilisatrices de ces sociétés civiles locales.
Le résultat des actions du PADSOC au niveau de la base sera l’émergence, par effet de synergie, des sociétés civiles dynamiques au niveau municipal, urbain, provincial et national; disposant des capacités renforcées de mobilisation collective pour « contraindre » à la performance les dirigeants, à travers la défense de la démocratie et la bonne gouvernance ainsi que des revendications vigoureuses pour l’amélioration des conditions socio-économiques de vie des populations. Par ailleurs, ces groupes locaux doteront les électeurs, bien avant les élections de 2028, des capacités accrues pour voter leurs futurs dirigeants avec lucidité sans céder aux manipulations de toutes sortes venant des candidats.
En RDC, les institutions et les comportements des acteurs qu’elles génèrent, dans les domaines aussi bien publics que privés, se sont dégradés constamment au fil du temps en termes d’efficacité, d’efficience, de pertinence et de qualité. En outre, les tentatives d’y apporter des correctifs sont tout aussi constamment mises en échec par des dynamiques systémiques qui se sont durablement installées dans la société congolaise.
La dégradation continue des institutions et des comportements, en piégeant les acteurs congolais dans le système de prédation, a entraîné avec elle le pays dans une trajectoire continue de sous-développement politico-administratif, économique et social; notamment en privant les élites nationales des capacités nécessaires pour gérer adéquatement d’autres facteurs conjoncturels et structurels internes et externes qui affectent le processus de développement de la nation. En conséquence, la R.D.C. est aujourd’hui un pays dont la population vit dans un État en faillite, avec une administration publique déliquescente et un état des lieux socio-économiques désastreux.
Pourtant, dans leur grande majorité, les partis politiques congolais n’ont guère de programme de gouvernement détaillé et pertinent par rapport à la situation du pays, au-delà des expressions d’intentions générales de ce qu’ils comptent réaliser une fois au pouvoir. Les tâtonnements du gouvernement de la R.D.C. issu des élections de 2018, à travers d’abord le programme des 100 jours lancé au début de mandat qui n’a pas pu être complété tout au long de celui-ci, ensuite le programme de développement de 145 territoires lancé en fin mandat pour essentiellement servir de plateforme électorale aux élections de 2023, sont là pour en témoigner.
Fort de ce constat, le CARSOC s’est investi à élaborer un programme gouvernemental dont il a proposé, de mars à juin 2024, une première mouture aux élites civiles et politiques congolaises ainsi qu’aux élus issus des élections de décembre 2023 sous le titre « Agenda d’un choc systémique en R.D. Congo pour transformer l’État, l’Économie et la Société », dit Agenda-2024. Ce programme holistique contient plusieurs propositions générales de politique publique pour reconstruire l’État, l’économie et la société qui requièrent chacune un travail complémentaire d’opérationnalisation et de planification pour leur mise en œuvre efficace. Il était espéré que les autorités congolaises se l’approprient et se donnent les moyens de faire avancer ce travail. Ceci n’a toutefois pas été le cas, d’autant plus que ce dernier aurait été perçu comme concurrent aux « travaux préparatoires de l’élaboration du Plan National Stratégique de Développement 2024-2028 » lancés à la même période au niveau du Ministère du Plan et dont a découlé le programme du Gouvernement actuel. Ce programme a été évalué par CARSOC et ses conclusions transmis à ce dernier. Il semblerait aussi, selon certains renseignements, que des propositions en matière de transformation de la gouvernance n’auraient pas été les bienvenues dans un système institutionnalisé de prédation.
C’est donc cette tâche d’approfondissement, opérationnalisation et planification de diverses propositions de politique publique contenues dans l’Agenda-2024 qui est confiée au projet « Programme Gouvernemental de Transformation de l’État, de l’Économie et de la Société (PGTEES) ». Le programme gouvernemental détaillé qui en découlera sera proposé aux gouvernants attitrés selon les matières et les paliers de gouvernement, aux partis politiques en compétition électorale et à la société civile pour inspirer des réformes profondes en R.D.C. visant à inverser sa trajectoire institutionnelle actuelle et redémarrer son processus de développement politique, économique et social.
En RDC, la détérioration continue du système éducatif depuis le début des années 1990 (suite aux pillages, instabilité/transition politique, crise économique aiguë -hyperinflation-, …) a débouché aujourd’hui sur sa déliquescence très avancée : structures (de gestion) inopérantes, délabrement avancé des infrastructures et autres équipements, ressources financières et matériels didactiques inexistants, apprenants en surnombre par rapport aux capacités du système, enseignants sous-qualifiés sur le plan disciplinaire et pédagogique; personnels mal payés, démotivés et largement corrompus, programmes d’enseignement non-actualisés et inadaptés aux besoins du pays, etc. Ces réalités sont généralisées dans le secteur éducatif autant public que privé et à tous les niveaux (primaire, secondaire, supérieur/universitaire), à quelques exceptions près des écoles privées élitistes (écoles internationales) et certaines relevant du secteur conventionné géré par les grandes confessions religieuses, dont principalement les Églises catholique et protestante.
Le résultat de toutes ces tares qu’a charriées l’éducation nationale sur une longue durée (au moins trente ans) est l’insuffisance de compétences avérées dans le chef des diplômés qui sont sortis du système pendant tout ce temps et en sortent encore aujourd’hui. Ce fait est connu et décrié par tout le monde au Congo, à commencer par le Président de la République lui-même qui s’en est plaint à plusieurs reprises durant son premier mandat (2019-2023). La conséquence en est que, lorsqu’ils parviennent à être recrutés, ces diplômés ont de sérieuses insuffisances en termes de productivité, d’efficacité et d’efficience. Ceci est déjà un problème actuellement pour des organisations opérant à travers le pays, mais cela va devenir un obstacle majeur quand celui-ci va amorcer la phase de son démarrage et, ensuite, de son décollage économique dans lesquelles le besoin en professionnels et main-d’œuvre qualifiés croîtra de façon vertigineuse.
Le développement de compétences et professionnalisme du capital humain est la principale voie par laquelle toute société change et se développe. D’abord, des ressources humaines efficientes sont le moteur non-seulement de rendement et de rentabilité accrus, donc de croissance des organisations respectives, mais aussi de leur développement institutionnel, c’est-à-dire le changement vers l’efficience des normes, règles, structures, croyances et pratiques en leurs sein. Ensuite, ce développement organisationnel/institutionnel au niveau micro et méso-sociétal, lorsqu’il se produit dans des professions ou domaines pivot, entraîne par effet de synergie la réingénierie progressive des normes, règles, structures, croyances et pratiques au niveau macro-sociétal. Car, il faut le reconnaître, le changement institutionnel efficient ou inefficient de toute société est à la fois, d’un côté, la somme synergique des changements organisationnels/institutionnels efficients ou inefficients soutenus dans les organisations intermédiaires ou de base et, de l’autre côté, la résultante des demandes formulées par celles-ci qui sont aussi fonction du degré de leurs développements institutionnels internes.
L’éducation nationale constitue le canal privilégié pour développer les compétences et professionnalisme du capital humain national. Toutefois, lorsque celle-ci se trouve en piteux état tel que décrit ci-dessus, des solutions pérennes de renforcement de capacités des professionnels en service s’imposent. D’où la pertinence du Programme de développement de compétences et professionnalisme dans la société civile (PDCP) comme composante du Projet d’appui à la réingénierie de la nation Congolaise (PARNaC).
Construire une paix durable à l’Est de la RDC en proie aux guerres depuis trois décennies impose désormais de réfléchir à une approche nouvelle et originale. Car les causes profondes de ces guerres, à savoir l’espace, les richesses et les populations, sont permanentes. La seule solution viable sera celle susceptible de rendre toutes les parties prenantes gagnantes les unes des autres.
Il est de la responsabilité des élites des trois pays de la région des Grands-Lacs d’Afrique (RDC, Rwanda et Burundi), plus particulièrement de leurs sociétés civiles, d’initier des réflexions profondes qui défient les discours ambiants sur ces guerres. Le but étant de faire émerger des dynamiques de discussions, d’abord citoyennes et ensuite politiques le moment venu, autour des solutions qui apparaissent comme taboues dans le contexte courant de belligérance triangulaire entre ces pays.
Ces discussions pourraient s’amorcer à partir d’une question simple que voici: « Qu’est-ce qu’une citoyenneté unique dans une fédération intégrant les provinces actuelles de la RDC, le Rwanda et le Burundi (comme des provinces/États fédérés) pourrait apporter comme bénéfices pour tous et chacun de ces trois pays actuels? ».
Les élites de la société civile congolaise, dont le pays est la grande victime de ces guerres, seraient bien avisées de prendre l’initiative de cette démarche innovante. Car, construire une paix durable, tenant compte des causes profondes et permanentes de ces guerres (espace, richesses et populations), pourrait requérir de la RDC, lorsque cela lui sera possible à court, moyen ou long terme, une vision de grandeur et de puissance qui lui permette de faire des propositions pour imaginer ensemble avec le Rwanda et le Burundi le territoire, l’État et la citoyenneté afin d’harmoniser et normaliser l’accès inclusifs de leurs populations respectives aux espaces et richesses (actuels des uns et des autres).